Article publié le
20/1/2020
Inspiration

De la grande beauté de la petite échelle‍

Sous nos magnifiques façades, derrière nos somptueux avatars, on meurt de soif de sens, on ne sait plus trop qui nous sommes ou qui nous voudrions devenir.

Dans Small is Beautiful, Schumacher nous disait : les gens ne peuvent être eux-mêmes qu’au sein de petits groupes d’une taille convenable.

Voilà, je crois, l’esprit de la solution : abandonner nos idées de grandeur, repenser les grandes institutions, les grandes écoles de pensée, les grandes politiques gouvernementales; revenir à la base; retrouver l’échelle humaine.

Vive les p’tites menuiseries, les p’tites cordonneries, les p’tites boulangeries, les p’tites fermes, les p’tites boucheries, les p’tits couturiers, les p’tits théâtres, les p’tites laiteries, les p’tites école, les p’tits vignobles, les p’tits abattoirs, les p’tits potagers, les p’tits villages, les p’tits marchés publics, les p’tits restos, les p’tites jobines, les p’tits plaisirs de tous les jours… vive la grande beauté de la petite échelle!

La fuite en avant a assez duré, il faut jeter un coup d’œil en arrière avant d’aller plus loin. Il y a plus de deux mille ans, Aristote écrivait dans les toutes premières lignes de sa Politique :  « Remonter à l’origine des choses et suivre avec soin toutes les étapes de leur genèse respective est la manière par excellence d’en saisir le sens ».

Notre révolution tranquille, lumineuse comme elle fut, ne nous aurait-elle pas un brin trop éblouis?

Sans Dieu ni maître, grisés par nos grands chantiers, hypnotisés par l’asphalte et le béton, n’avons-nous pas surtout appris à nous laisser faire et à oublier notre culture vivrière, bâtie jadis de peine et de misère, à la sueur de nos fronts?

En abandonnant la campagne pour gagner la ville, nous avons troqué l’autonomie pour la dépendance.

Et s’il est une dépendance plus dangereuse que toutes les autres, c’est bien de ne plus être capable de nous nourrir par nos propres moyens.

Nos communautés sont en voie de désertification alimentaire.

Les œufs, le lait et le beurre qu’on y vend, quand on vend encore, viennent d’ailleurs. La viande et les céréales aussi.  La majorité de nos fermes ne sont plus que les maillons de grandes chaines d’approvisionnement et de mise en marché.  La plupart d’entre elles ne sont plus capables de fonctionner de manière autonome et de nourrir les communautés qu’elles occupent.

Ainsi, malgré toutes nos avancées politiques et technologiques, nous avons dérivé bien loin de la résilience élémentaire de nos grands-mères et de nos grands-pères.  Acheter plutôt que faire, choisir plutôt que produire, exploiter les autres plutôt que soi-même, voilà ce qui a fait de nous ce que nous sommes.

Je rêve d’une société où chaque jour, pendant quelques heures, il serait convenu et convenable qu’on s’occupe de l’essentiel : repriser, construire, peinturer, composter, planter, entailler, biner, fendre, élever, abattre, cuisiner, récolter, pêcher, traire, cailler, conserver… faire du sens.

Au jour le jour, je réclame, au nom de tous les miens, une liberté alimentaire digne de ce nom; parce que je crois dur comme fer qu’il faut avoir le droit de nourrir son prochain comme soi-même et qu’une autonomie élémentaire ne devrait pas avoir à s’acheter à prix d’or mais être offerte à tous ceux et celles qui ont la sagesse de la vouloir.  Habiter un lieu, vraiment l’habiter, c’est d’abord y pendre sa crémaillère et nourrir tout ceux qui l’habitent.

La souveraineté alimentaire d’un pays, c’est d’abord celle de son peuple.  Bien sûr, si nous voulions à nouveau nous nourrir les uns les autres, il nous faudrait faire preuve d’une ténacité hors du commun, d’une intarissable soif d’apprendre, d’un altruisme renouvelé, d’une inventivité hors pair, d’une santé d’acier et d’une volonté de faire.

Et pourquoi pas?

Tenir feu et lieu au gré des saisons; bâtir de ses propres mains sa propre maison; cultiver et élever une partie de ce que nous mangeons; partager ses savoir-faire avec ceux que nous aimons; voilà, je crois, ce que c’est d’être, sans Dieu ni maître.

Artisan fermier et auteur militant, Dominic Lamontagne exploite une petite ferme de production vivrière avec sa famille à Sainte-Lucie-des-Laurentides. Il milite en faveur d’une omniculture responsable. Il est l’auteur de La ferme impossible (2015), de L’artisan-fermier (2019), co-auteur de La chèvre et le chou (2022) et a participé au film documentaire La ferme et son État (2017) de Marc Séguin.