Article publié le
22/8/2024
Enjeux

Pesticides au Canada: l'urgence de changer de cap politique

Il y a trois ans, le gouvernement canadien lançait un programme ambitieux de transformation de l’Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire (ARLA) avec un budget colossal de 42 millions de dollars. L’objectif était clair : renforcer la transparence, utiliser des données scientifiques indépendantes et inclure les contributions des citoyens dans les processus décisionnels concernant les pesticides. Mais aujourd'hui, le constat est accablant. Le programme est un échec, et les enjeux cruciaux qui devaient être traités restent désespérément en suspens.

Une promesse non tenue

Lorsque ce programme a été annoncé, il était perçu comme une réponse aux préoccupations croissantes concernant l'influence de l'industrie chimique sur les politiques de santé publique. À l'époque, une proposition visant à augmenter les limites de résidus de glyphosate dans les aliments avait suscité une indignation massive. Le gouvernement avait alors promis de geler ces augmentations et de transformer l'ARLA en une institution plus transparente et respectueuse des données scientifiques indépendantes. Trois ans plus tard, cette promesse semble avoir été trahie.

«C'est un échec à 42 millions de dollars. Si les enjeux de la transparence et de l'influence de l'industrie sur l'agence de réglementation n'ont pas été adressés, on ne pourra pas espérer de changements profonds à l'issue de cette transformation.» Laure Mabileau, responsable de la campagne Sortir du glyphosate chez Vigilance OGM.

Un processus opaque

L’un des aspects les plus préoccupants de ce programme est l’opacité persistante des processus décisionnels. Malgré les engagements pris, la reprise des consultations sur les limites maximales de résidus (LMR) de pesticides n’a apporté qu’un maigre changement : l’identité du demandeur est maintenant rendue publique. En revanche, l'influence des entreprises de l'industrie chimique reste intacte. Sur les 27 consultations réalisées au cours de l'année écoulée, 8 visaient à augmenter les LMR, et dans tous les cas, les demandes provenaient de l'industrie elle-même.

Une hypothèse obsolète

Le programme de transformation devait également permettre de revoir l’hypothèse de base qui sous-tend l’établissement des LMR : l’idée qu’il existerait des niveaux d’exposition acceptables aux pesticides. Or, des études scientifiques récentes remettent sérieusement en question cette hypothèse. Les recherches montrent que même de petites quantités de pesticides peuvent entraîner des problèmes de santé graves, notamment des cancers et des perturbations endocriniennes. Pourtant, l’ARLA persiste à affirmer que «le processus actuel de fixation des LMR protégeait la santé humaine et ne nécessitait pas de modifications.»

Un avenir incertain

L'échec de ce programme laisse planer de sérieux doutes sur la capacité du gouvernement à protéger la santé publique et l'environnement face aux pressions de l'industrie chimique. Les Canadiens continuent d'être exposés à des résidus de pesticides dans leur alimentation et leur eau, avec des conséquences potentielles sur leur santé dont l'ampleur est encore mal comprise. Comme le soulève Laure Mabileau : «après 3 ans de révision du système d'évaluation, avec la promesse de le rendre plus transparent et à l'écoute de la science indépendante, les changements proposés par Santé Canada vont le rendre plus opaque et majoritairement basé sur les données de l'industrie — c’est à n'y rien comprendre !»

L’urgence de soutenir une agriculture durable et de proximité

Alors que la planète frappe des limites écologiques inquiétantes, il est plus crucial que jamais de changer de cap en soutenant des pratiques agricoles durables et de proximité. L'agriculture raisonnée, biologique, ou régénérative ne sont pas seulement des alternatives viables, mais des nécessités pour préserver la santé humaine et celle de nos écosystèmes. Ces méthodes agricoles réduisent la dépendance aux pesticides, restaurent la fertilité des sols, et favorisent la biodiversité. Soutenir les petites fermes locales qui pratiquent ces formes d'agriculture, c'est investir dans un avenir sain et durable.

L’agriculture de proximité, en particulier, joue un rôle clé dans cette transition. Elle permet de réduire les distances de transport, d’assurer la fraîcheur des produits, et de soutenir les économies locales. Les fermes qui adoptent des pratiques durables contribuent non seulement à la santé publique, mais aussi à la résilience des écosystèmes en régénérant les sols et en protégeant la biodiversité. En misant sur ces pratiques, nous pouvons atténuer les impacts environnementaux tout en offrant des aliments sains et nutritifs à nos communautés.

Changer de cap pour notre avenir

Le programme de transformation de l'ARLA, censé être un tournant dans la régulation des pesticides au Canada, s'est avéré être un échec coûteux. Les enjeux de transparence et d'indépendance scientifique restent non résolus, et l'influence de l'industrie sur les décisions concernant la santé publique demeure préoccupante. Cet échec appelle à une remise en question profonde des politiques de régulation des pesticides, afin de mieux protéger la santé des citoyens et l'environnement pour les générations futures. Comme l'a déclaré le président démissionnaire du Comité consultatif scientifique sur les produits antiparasitaires, Bruce Lanphear : «et si les hypothèses concernant les limites maximales de résidus ne parvenaient pas à protéger les Canadiens ?»

Retrouvez notre article De lobbyiste pro-pesticides à directeur général de l'Ordre des agronomes du Québec.

Thomas est passionné par l'agriculture et l'écologie. Il part à la rencontre des producteurs et des cuisiniers pour partager sa passion et vous faire découvrir les enjeux qui se cachent derrière l'assiette.